Aussi étrange que cela puisse paraître, le racisme découle d’une affreuse torsion de la morale altruiste.
En Grèce antique, dans l’empire du Ghana, de même que chez les nations Cherokee ou Kwakwaka’wakw, la société ne répugnait nullement à réduire en esclavage des individus qu’elle ne cessait pourtant jamais de considérer comme des humains. Nul n’était esclave pas par essence, mais n’importe qui pouvait le devenir de fait. Peut-être avait-il accumulé trop de dettes. Peut-être fut-il capturé par ses adversaires au combat. Ces sociétés-là assumaient parfaitement de vendre, de tuer à la tâche, d’enchaîner et d’humilier des êtres humains.
Les colonies des puissances maritimes de l’Europe moderne n’inventent guère l’esclavage, mais elles furent sans doute les premières à ne plus l’assumer. Elles se dotèrent, pour cette raison, d’une ribambelle de théories racistes qui leur permirent de se convaincre elles-mêmes que celles et ceux qu’elles mettaient dans les chaînes n’étaient pas de vrais humains.
— Le colonisateur, pour se donner bonne conscience (écrit Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme), s’habitue de voir en l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, et tend objectivement à se transformer lui-même en bête.
La supercherie de la bonne conscience raciste fut dénoncée dès le 16e siècle par le dominicain Bartolomé de las Casas au procès de Vollaloid. Mais le monde ne se débarrassa plus du poison du racisme.
Il est inquiétant d’imaginer que tant de souffrances du monde contemporain puisse encore dériver d’une perversion de l’humanisme et de la pensée altruiste.