Une civilisation de la postvérité n’est pas une civilisation imbécile ni menteuse. C’est une civilisation qui cesse de considérer la vérité comme une valeur. Rapidement, elle mue en une civilisation qui décrie la vérité, avant de se mettre à la persécuter par des moyens de plus en plus violents. Ce faisant, elle ne s’en prend jamais, bien sûr, à la vérité en tant que telle (impossible à connaître de manière définitive, la vérité est intrinsèquement intouchable) mais à celles et ceux qui la cherchent.
Lorsque l’Inquisition assassine Giordano Bruno sur le Campo dei Fiori, elle expriment l’âme putride d’une civilisation de la postvérité. Son rapport à la vérité se trouve en effet en rupture avec, notamment, celle des bien plus anciens physikoi, dont elle hérite pourtant.
Similairement, les créationnistes d’extrême droite et autres promoteurs de la terre plate (tout comme, à l’extrême gauche, les intégristes du relativisme culturel, ou les négationnistes de l’hérédité génétique et des différences endocrinologiques et physiologiques entre mâles et femelles des espèces mammifères) rompent avec les préceptes de la science hypothético-déductive qui cherchait la vérité au 20e siècle. Ces individus et leurs associations en sont déjà à intimider les chercheuses et à les persécuter sur les campus universitaires.
La grande tragédie, c’est que les esprits du 20e siècle aussi brillants que Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard ou Guy Debord leur ont fourni les outils pour s’en prendre à la recherche de la vérité, en ayant eux-mêmes simplement cherché à nous libérer du carcan du positivisme, et à encourager une réflexion plus critique sur les liens entre vérité et pouvoir.