Les statistiques, comme le langage, sont une gigantomachie du regard porté sur soi par une partie de l’humanité. Une manière d’être présent à soi. Mais plus que le langage, sans doute, une manière hautement stylisée et sujette à tradition ; prisonnière de l’ectologie des données. Une manière de voir et de penser savamment externalisée dans une machine.
La matérialité de la machine rend ses rouages persistants ; ses transistors solidement soudés à la carte mère. Il est probablement plus difficile de changer les catégories de mesure — et le langage de la mathématique qui permet de les enregistrer, puis de les résumer — qu’il n’est d’inventer de nouveaux mots, de nouveaux sons, de nouvelles danses, de nouveaux chemins, de nouveaux gestes. Et puisque le regard n’observe pas seulement le monde mais qu’il le fabrique aussi, les statistiques sont un moyen hautement efficace pour figer la réalité qu’elles mesurent.