L’important dans la littérature, qu’il s’agisse d’un essai ou d’un roman, c’est de rester connecté, d’être connecté, au flux de la vie qui traverse ce que tu évoques, car l’évocation ne vaut jamais pour elle-même. Il ne faut pas se perdre dans l’évocation. Elle ne vaut qu’en ce qu’elle nous donne la force et l’énergie. Évoquer, c’est de se tisser dans une flèche de conscience qui nous propulse vers l’avant.
Évoquer, c’est, avant cela même, de concevoir les sujets de l’évènement ; leur attribuer leurs places respectives. Car le point de vue de l’évènement est flottant et désincarné. Du point de vue de l’évènement, tous — les agissants, les subissants — sont indistincts. Évoquer, c’est concevoir un je, un tu, un il, un elle. Évoquer, c’est concevoir un nous, un vous et un eux. Et seulement à force de répétition, à force d’une évocation réitérée, ces rôles se laissent varier et se libérer de soi-même.
La tâche de l’évocation est forcément plus ardue, encore, lorsqu’elle cherche à lier les événements distincts dans le temps, en s’efforçant de doter tous ses sujets d’un semblant de persistance.