Le mot latin e-movere veut dire sortir de. L’idée d’émotion renvoie au mouvement. Il y a, dans chaque émotion, quelque chose de dromomaniaque.
Suite aux imprécations d’un moustachu, les voisins allemands de mes grands-parents tchèques dans les Sudètes furent si émus qu’il donnèrent, à ces grands-parents donc, et leurs parents, 48 heures pour quitter la région avec 40 kilos de biens au maximum par personne. Le peuple juste, criait jadis le moustachu dans une brasserie de Bavière, était trop blessé dans sa dignité. Très émus, les frères allemands prirent possession des bien restants de leurs désormais absents frères Tchèques. (Les émotions, comme la foule, sont spontanées). Il reste sûrement des photos de vacances où ils se tiennent ensemble, voisins d’antan enlacés, unis dans l’émouvante amitié, dans le pays de l’autre en touriste, peut-être, émus de l’authenticité des us locaux. Après la guerre, des Tchèques très émus, aussi, pendirent des civils allemands sur les candélabres de Prague par le cou, en demandant aux autres (moyennant décrets écrits par un démocrate moustachu fort ému de son retour au pays) de quitter la région. Cela fit des colonnes humaines émues sur les quais de trains à bétail. Les communistes encore émus — et à peine remis — de l’oppression de l’occupant maintenant chassé instaurèrent (avec le soutien plutôt froid d’un autre moustachu de Moscou) un parti unique, que la foule bénie par Gorbatchev en personne renversa (dans l’émotion, ça va de soi) en 1989 avant de remettre en place le libéralisme du plus fort datant de l’émouvant temps de crise de l’avant-guerre. Très émus, les petits-fils des Allemands des Sudètes expulsés défilèrent aussi, parfois, dans les rues de Bavière pour réclamer excuses et restitutions de biens.
J’ai, pour tout dire, et sans vouloir nier les miennes, des doutes sur les émotions, en particulier les grandes émotions, et surtout lorsqu’on les partage en groupe. Alors, quand les groupes deviennent millions… Et cette conviction intime d’être des gens bien…