1.
L’échelle est un tenseur spatial mettant en rapport l’intérieur de la carte et l’extérieur du territoire. Elle enchaîne l’un à l’autre.
2.
Même lorsque nous parlons d’espace seulement — en évoquant des cartes, par exemple — toute échelle implique aussi un laps de temps d’observation, une durée. Toute échelle est, implicitement du moins, spatiotemporelle.
3.
Tout est multiscalaire.
4.
En fabriquant une carte, tu montes aussi sur une telle échelle, tu te hisses sur les maillons de la chaîne des êtres, semblable à Jacob dans son rêve, tu t’approches du zénith en prenant conscience du monde dont tu es issu alors que tu t’en éloignes. L’esprit savant regarde de haut en bas et perçoit des phénomènes à grande échelle, au prix d’une perte de lien sensible aux choses observées. Si le sol était pénétrable, la même prise de distance deviendrait possible dans le sens inverse, en descendant, observer avec le Diable les dessous du monde et le mouvement de ses trames obscures. Le Satan de Dante prisonnier de la glace au centre de la Terre a tout son temps pour lever les yeux sur les neuf cercles de l’Enfer.
Une confusion s’empare de l’échelle au moment de la diffusion de la carte imprimée car l’on remarque alors qu’une analogie exacte, portant aussi le nom d’échelle, se laisse établir entre la taille des éléments dessinés et celle des objets du monde physique qu’ils représentent. Cette échelle s’exprime dans un rapport, 1:1000, 1:25000, 1:100000… c’est-à-dire 0.001, 0.00004, 0.00001… Plus la surface de Terre représentée est grande plus l’échelle est petite, un paradoxe abscons dont l’évidence n’enchanta pas moins des générations de maîtres qui trouvèrent en lui l’occasion inespérée de poser l’oeuvre de leur vie au stylo rouge sur les copies des élèves. Focalisés sur le résultat algébrique des rapports géométriques, les cartographes bien dressés se mirent alors à parler de « petite » et de « grande » échelle, plutôt à contresens d’un sens commun plutôt sensuel. Leurs cartes à « petite échelle » représentent des territoires vastes, longs à traverser pour un corps humain. Leurs cartes à « grande échelle » montrent des espaces plus petits.
Au Diable cette algèbre ! Le géographe renverse son vocabulaire et parle bien de cartes à grande échelle et de cartes à petite échelle pensant à l’échelle réelle, celle qu’il faudrait dresser à la verticale du territoire pour que le corps humain puisse monter dessus afin que son regard embrasse un phénomène plus étendu.