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échelle

échelle - Wikitractatus

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L’échelle est un tenseur spatial mettant en rapport l’intérieur de la carte et l’extérieur du territoire. Elle enchaîne l’un à l’autre.

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Une chaîne nommée scala naturae (l’échelle des êtres) connectait jadis les divers degrés de l’existence et se perdait dans les nuages. Elle traversait les orbites des planètes et du soleil du système géocentrique, tendue de nos rochers jusqu’à la cheville de Dieu dans l’Empyrée. Les indiscrets murmuraient que Satan, caché sous Terre, tenait l’autre bout de la chaine dans sa main reptile. Chaque maillon représentait un être, qui se distinguait de ses voisins par le plus petit degré de différence. À la perfection divine s’enchaînaient ainsi les archanges, puis les séraphins et les chérubins. Ces trois échelons angéliques étaient immédiatement suivis de ceux des humains, tendus entre le divin et l’animal. En haut de la partie humaine de la chaîne se trouvaient les rois puis les seigneurs, suivis des paysans. Dans chaque famille, l’ordre descendait du père à la mère, aux garçons et enfin aux filles. Suivaient les animaux : les sauvages et les libres, les domestiques utiles, comme les chiens et les chats, puis les domestiques dociles, comme les moutons, suivis des insectes et des serpents. En haut de la partie végétale de la chaîne, les arbres, les plantes comestibles les plantes quelconques puis les champignons. Enfin les minéraux en commençant par les métaux, les roches, les sols fertiles, les sables et en dernier les déchets. Sa facture exacte connut des variantes entre le Moyen Âge scolastique et la Renaissance. 

Les alchimistes trouvèrent des moyens de grimper à l’aide d’une série de transformations de la matière et de l’esprit, menant d’un chaînon à l’autre, du plomb à l’or, de l’humain au divin. 

— Les échelons de la hiérarchie qui forment la configuration du macrocosme, écrit Robert Fludd, correspondent aux différentes formes de la prise de conscience chez l’homme, cela va de la perception sensible à la compréhension profonde en passant par l’imagination et par l’entendement. Le dernier échelon correspond à l’appréhension directe de la parole divine dans la méditation. Mais au-dessus, il n’y a plus d’échelons, car Dieu est inconcevable. 

Si tu en supprimais une seule maille, sa totalité s’effondrait.

En fabriquant une carte, tu montes encore sur une telle échelle, semblable à Jacob dans son rêve, tu t’approches du zénith en prenant conscience du monde dont tu es issu alors que tu t’en éloignes. L’esprit savant regarde de haut en bas et perçoit des phénomènes à grande échelle, au prix d’une perte de lien sensible aux choses observées. Si le sol était pénétrable, la même prise de distance deviendrait possible dans le sens inverse, en descendant, observer avec le Diable les dessous du monde et le mouvement de ses trames obscures. Le Satan de Dante prisonnier de la glace au centre de la Terre a tout son temps pour lever les yeux sur les neuf cercles de l’Enfer.

Une confusion s’empare de l’échelle au moment de la diffusion de la carte imprimée car l’on remarque alors qu’une analogie exacte, portant aussi le nom d’échelle, se laisse établir entre la taille des éléments dessinés et celle des objets du monde physique qu’ils représentent. Cette échelle s’exprime dans un rapport, 1:1000, 1:25000, 1:100000… c’est-à-dire 0.001, 0.00004, 0.00001… Plus la surface de Terre représentée est grande plus l’échelle est petite, un paradoxe abscons dont l’évidence n’enchanta pas moins des générations de maîtres qui trouvèrent en lui l’occasion inespérée de poser l’oeuvre de leur vie au stylo rouge sur les copies des élèves. Focalisés sur le résultat algébrique des rapports géométriques, les cartographes bien dressés se mirent alors à parler de « petite » et de « grande » échelle, plutôt à contresens d’un sens commun plutôt sensuel. Leurs cartes à « petite échelle » représentent des territoires vastes, longs à traverser pour un corps humain. Leurs cartes à « grande échelle » montrent des espaces plus petits. 

Au Diable cette algèbre ! Le géographe renverse son vocabulaire et parle bien de cartes à grande échelle et de cartes à petite échelle pensant à l’échelle réelle, celle qu’il faudrait dresser à la verticale du territoire pour que le corps humain puisse monter dessus afin que son regard embrasse un phénomène plus étendu. 

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