À l’arbre, le monde se donne comme intensité. À toi et à moi, créatures itinérantes, il se donne comme spatialité. Pour étendre le champ de son existence, l’arbre doit percevoir des variations de plus en plus fines de la température, de la couleur de la lumière, de la composition chimique de l’air ambiant. Pour étendre le champ de nos existences, nous devons nous déplacer dans l’espace.
— εἰ πάντα τὰ ὄντα καπνὸς γένοιτο, ῥῖνες ἂν διαγνοῖεν, maugrée Héraclite dans les rues d’Éphèse. Si le monde était fumée, c’est par les narines que nous distinguerions.
L’espace est la forme première de notre désir. L’ubiquité est son utopie délicieuse et fatale.
Nous inventons des espaces pour nous y donner une place.
Si tu ne peux exister sans espace, lui non plus n’existe pas entièrement sans toi, on l’oublie facilement. Car tu fais toujours partie de l’espace, selon la double modalité de celui qui le perçoit et de celui qui le compose pour autrui.
En cohabitant l’espace, nous nous déterminons les uns les autres. L’espace est une clef d’interprétation. Habiter l’espace, c’est donner à sens à toi même à travers ceux qui l’habitent. L’espace est toujours à prendre au pied de la lettre. Si tu t’y perds c’est que tu t’es perdu : il te faut marcher encore comme si ton corps était une machine, jusqu’à ce que tu retrouves la sensation de marcher sur un chemin. Si tu n’arrêtes pas de t’enliser dans des culs-de-sac, c’est que tu es sur une mauvaise piste. Il te faut chercher autrement.