Une machine est le résultat de deux désirs humains : celui de nier sa chair, et celui de pérenniser son esprit dans une part inorganique de la matière.
Pour la biologie moderne, tout être vivant est une machine à vivre.
Une machine est un symbole car elle renvoie à autre chose qu’elle. Une machine ne fonctionne, ni ne peut exister, que dans un réseau de machines, lui-même inscrit dans un réseau élargi de produits. Réciproquement, tout symbole est une machine.
David Dunn dit des machines qu’elles ne sont pas des « objets neutres », mais « des vestiges de pensée auxquels la force de l’intention donne une puissance ». Une machine peut obstruer des réalités, où les réduire à des réalités de la mécanique. Ce qui ne peut être photographié à l’aide d’un appareil, par exemple, est désigné comme une hallucination.
La machine est à la fois ce qui nous permet d’échapper à l’esclavage et à la menace de devenir esclaves de la machine.
Dans un cauchemar noté au bas de la page, Léonard de Vinci conjure l’image d’un monstre hideux qui attaquerait l’humanité. Le réseau de machines a des mains d’huile et d’acier partout où sa topologie ne donne plus que sur du vide. Elles s’agrippent aux organes humains de peur de se perdre, car la machine ne peut pas fabriquer son propre sens. Ce faisant malgré elles, les machines apprivoisent nos désirs et pressent l’humanité comme une chose poreuse saturée de jus.
Dans la machine, nos corps se prolongent dans l’infini où l’interpénétration devient totalité.
À la fin du 18e siècle, les tisserands du Lancashire se mettent en marche sur Manchester, en grogne contre la machine. Pourquoi ne marchent-ils pas contre ceux qui leurs demandent de tisser encore pour vivre, alors que leur lot de chemises suffit déjà à vêtir le pays entier.
Dans l’optimisation de la machine, enfin, on atteint son apothéose formelle. Car, parmi toutes les formes dans lesquelles on se manifeste, il n’y a qu’elle qui sache aspirer à tout être, sans jamais devenir plus qu’elle n’est.
