影武者 — L’ombre du guerrier suffit à faire la guerre. Une armée se nourrit d’images et d’eau fraîche.
Au 6e siècle, al-Idrisi nommait l’Atlantique la Mer des Ombres, car ces eaux se perdaient dans l’inconnu. Les morts des anciens Grecs s’en allaient par là.
En mourant, Syagrius, le dernier roi des Romains, aurait demandé :
— Ubi essent umbrae ?
Où sont les ombres ?
— Entendait-il par-là les âmes aux Enfers ? Les ombres pour témoigner de la parole donnée ? Où sont les guêpes jaunes quand la neige tombe sur le chemin glacé ? Mon père, quand il poussa un petit cri et me conçut, avait les yeux ouverts sur quoi ?
Pascal Quignard demande.
Et dans la ville, le soir tombant, quelques ombres de visages aux traits érodés s’attardent sur ton chemin. Ils attendent que tu les croises en silence et que tu répondes tout bas à quelque question qu’ils auraient oublié de poser.
Tu l’emporteras avec toi, cette question, comme une ombre intérieure qui habitera la lumière du jour et dans la clarté étanche des lampadaires de peur qu’on érige avant la nuit. Car l’ombre est le seuil de la noirceur.