La question du centre est une question d’autorité. Anaximandre postula que la Terre s’était formée à partir d’un grain explosé au centre de rien et que le cercle de feu qui subsista autour constitue les étoiles et le soleil. Hipparque et Ptolémée, dans le respect de l’image du maître, avaient adopté une vision géocentrique du monde, qui finit par s’imposer aux siècles. Selon la narration admise, des générations d’astronomes obédiants firent durer l’erreur pendant quatre cents ans.
Mais est-ce bien une erreur ? Là est une question que nous pouvons poser avec une fraîcheur nouvelle, pour peu d’accorder une force de prescription aux vents qui emportent les cendres des bûchers d’Inquisitions. Pour dire que Ptolémée s’est « trompé », il faudrait en effet prouver qu’il existe un centre objectif de l’univers.
Bien sûr, il est plus pratique de considérer que le soleil est le centre du petit univers de nos huit planètes. De mettre la terre à sa place a forcé les astronomes médiévaux à se dépasser en ruses géométriques pour prédire la trajectoire de ces planètes sur le ciel nocturne. Par opposition au système géocentrique qui nécessite 80 épicycles, l’héliocentrisme n’en a besoin que de 34. Ainsi la simplicité de calcul devient le fondement d’une vérité. En d’autres termes, le soleil n’est le centre du cosmos qu’en vigueur d’une raison mécanique, bornée au ciel proche, d’une raison obsédée par le mouvement des planètes sur leurs orbites, par les cercles qu’elles dessinent et dont le soleil, oui, est bien le centre, ou presque, car le « vrai » centre de gravité entre deux corps — dont l’un orbite autour de l’autre — est en fait toujours un peu entre leurs deux corps, même si le plus pesant demeure plus proche de ce centre.
On en oublierait presque qu’il existe d’autres centres et orbites dans l’univers, d’autres circonférences, qui n’ont rien à voir avec un mouvement de masses ; par exemple la circonférence du monde connu par chacun de nous, et qui s’étend des tracasseries quotidiennes jusqu’aux confins de l’univers. Son centre se situe sur terre, et à vrai dire, il n’y en a pas qu’un seul : il y a autant de centres de l’univers connu qu’il y a d’esprits humains. C’est, du moins, ce que nous pouvons dire si nous accordons une quelconque autorité à ces esprits.
Si nous privilégions l’autorité de la mécanique céleste, il est plus correct de dire que le soleil est le seul vrai centre.