1.
Le nom ne vaut rien si ce n’est pour être nommé. Posséder un nom n’a pas de sens si personne ne t’appelle.
2.
Il arrive parfois qu’une facette du monde se révèle si bien dans un être humain que nous retenons son nom pour désigner cette facette. Par Kafka, nous désignons le kafkaïen, par Sade le sadisme, par Sacher Masoch le masochisme, par Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim le bombastique. Tout nom propre recèle du potentiel de devenir un nom générique. Le monde se réfléchit par ses êtres de parole.
3.
Le nom propre ne pouvait pas, jusqu’à peu, être possédé ni déposé. Il ne pouvait pas non plus être dépossédé. Les AOC et les URL changent cela. Tu auras peut-être un jour à te battre pour garder ton nom.
4.
Chez les anciens, on pouvait changer de nom en fonction de ton rôle en un temps donné. Dans les phases successives de son oeuvre, Hokusai avait aussi peint sous le nom Shunro et Iitsu. La mère d’Alexandre de Macédoine, dit le Grand, eut plusieurs noms au cours de sa vie, dont Polyxena, Myrtale, Olympias et Stratonice. Chacune avait agi en son nom.
5.
Il existe des noms maudits par l’histoire. Encore sonnés depuis le dernier désastre, nous évitons de prononcer celui du monstre. Il faudra malgré tout le réintroduire dans notre langue, un jour, car il ne fait que muer jusqu’au méconnaissable en attendant dans l’ombre. Trop occupés à le taire, nous ne cessons en effet d’ébruiter d’autres mots et d’autres noms, qui ne tarderont plus à montrer leurs dents acérées.