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Il est absurde de croire que le langage en tant que tel puisse véhiculer un message. Il n’est qu’une série d’exclamations émises par l’humain lorsqu’il est surpris. Le langage est l’écho des sons qui émanent du brouillard qui borde le chemin. Le son du fond du brouillard et son écho ne font qu’un.
J’émerge du brouillard en dissociant le signifié et le signifiant. Cette fonction formative du langage est perdue dans toute réduction du langage à un pur système de transmission de faits.
— Le langage, écrit Lewis Mumford, fut un instrument qui reflétait la vie, qui accroissait la vie, longtemps avant de pouvoir être façonné en vue des propos restreints de la communication intelligente.
L’unification du langage dans un système de signes mathématiques est un projet totalitaire. La bureaucratie et l’académisme sont des pathologies du langage. Des niches de mots où se terrer, des intérieurs confortables qui nous permettent de vivre à l’extérieur de tout le reste.
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Nous nous obstinons à résider hors du langage, à laisser vides les demeures de mots que nous avons bâties dans les alvéoles du monde. Il est vrai qu’à force de vouloir être précis, nous bâtissons tout le temps des concepts inhabitables, dépourvus même du peu de place qu’il faut pour le coït de deux êtres. Mais le remède n’est pas dans la rétraction de la pensée, mais dans la patience. Avec le temps, les concepts les plus étroits changent d’extension, se généralisent, deviennent des mots. L’espace à disposition est infini, et le langage s’oublie. Des galeries entières de mots se sont effondrées dans la mémoire de l’humanité. Apprendre à parler n’a jamais cessé d’être une question de survie.