L’azoth, pour les alchimistes, unit le A au Z, Α à Ω, א à ת, l’alpha à l’oméga, l’ aleph au tav. L’azoth est l’unité du début et de la fin.
Par le miracle un peu fumeux de l’alchimie, on peut espérer entendre la parole se déployer ainsi — du début à la fin, j’entends — de l’article un à sept, par exemple, et finir dans une ligne perplexe en guise de point. Comme si l’on connaissait d’avance son tracé dans quelque cosmos, comme si la logique pouvait s’extraire du néant.
L’histoire bégaie et l’on oublie, à chaque tour, que les routes ne mènent que d’aleph à aleph. On s’obstine à les tracer dans quelque image sanctifiée, savante, péremptoire. Tu t’y perdras quoiqu’elle promette. Tu ne contourneras pas l’itinéraire, quelle que soit ta route.
Il y a toujours quelque chose, bien sûr, quelque centre à trouver : quelques cartes, héritées de parents reniés, pour meubler les coins sombres ; des parchemins qui tombent en poussière sous les doigts ; quelques boussoles ; quelques formes au sens oublié, creusées dans la matière de nos tendres surfaces :
Les stectonites de Stonehenge, le rêve de voir le soleil se lever toujours au même endroit, de voir s’ouvrir les portes de l’au-delà pour entendre quelques syllabes de la parole des anciens, de voir frémir les grandes lèvres des plus enveloppantes des matrices.
De voir le temps d’un coup, de manière à ce que la route de la mort à la naissance apparaisse comme praticable dans tous les sens, pour qu’apparaissent possibles les tergiversations, mais que les retards et les instants de regrets puissent être réinvestis de nos actes.
Il n’y a pas de tav, pas d’ oméga aux errances. S’en apercevant tôt ou tard, nous nous arrêtons net pétrifiés par l’inutile. Puis trouverons demeure dans l’hôtel d’Hilbert, où, s’éveillant d’un sommeil léger, Georg Cantor en camisole de force clame qu’aucun chemin ne saurait être réduit à un autre. Que l’infini n’a pas de centre.
Mais partout où l’infini s’articule à l’infini, s’ouvre une porte. Derrière elle, un ordre différent du cosmos, un ordre de l’alphabet, un ordre des mots. De temps en temps, par hasard, un de nous profère, inconscient, le verbe de Dieu ; un mot d’ordre ; un mot d’oubli. La chaîne de mots est un songe fulgurant qui traverse ou ne traverse pas les foules. « Wiki », disent les Hawaïens, pour dire « rapide ».