La paranoïa procède d’une surestimation du danger menaçant le soi. Elle est ainsi étroitement liée à la foi dans la réalité du soi, ainsi qu’à l’importance que l’on accorde à sa propre personne et à l’attachement qu’on lui voue. La paranoïa s’enracine en d’autres mots dans un amour propre jaloux.
J’observai plusieurs fois dans les milieux de gauche dite extrême l’idée d’être infiltrés par la police. De quelle preuve plus belle de l’importance de leurs actions pouvaient-ils rêver ! Qu’à cela ne tienne, certains groupes furent effectivement infiltrés. Mais de quelle preuve plus belle, une fois de plus, de l’importance de leur tâche pouvaient rêver ces agents secrets helvétiques alignant les pétards en compagnie de leurs objets d’enquête dans les cendriers d’une gentille collocation au grenier d’un squat. Combien grand, combien prestigieux devient le danger dont tu sauves ta patrie par un si spectaculaire sacrifice ! « Just because you’re paranoïd, don’t mean they’re not after you », chantait Kurt Cobain, paix à son âme. Les paranoïas de camps opposés se nourrissent l’une l’autre et se procurent leur réalité. À des échelles plus vastes, des partis politiques entiers se forment autour de phantasmes xénophobes, c’est-à-dire autour d’une peur de l’autre rendue systématique, c’est-à-dire autour de l’impression de posséder quelque chose, d’être quelqu’un, que l’autre convoiterait forcément et nous obligerait ainsi à nous protéger de lui. Une nation entière d’êtres enviés par le reste du monde. Narcissisme et paranoïa.
Excuser le paranoïaque narcissique, lui chercher un bon fond, serait lui rendre un piètre service. Une certaine intransigeance me semble nécessaire pour augmenter sa qualité de vie et celle de son entourage. Car une évolution agréable n’a rien d’impossible. Pour guérir de la paranoïa, il suffit d’orienter son attention vers l’extérieur. Sortir de l’indignation. Saisir les flux de la réalité et les infléchir dans le sens que tu estimes bon.