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/une philosophie de l’itinéraire
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ville

1

La longévité des villes contraste avec la mortalité des humains. Certains disent de la ville qu’elle est une « énergie humaine orientée vers le futur », mais le futur est une affaire de foi. La ville est une congrégation de fidèles sous les arches d’azur.

— Le temps mange la ville, dit Houm Jakin. 

Et les ruines lui donnent raison. Mais avant de tomber en ruine, ville conquiert le temps : elle le comprime, le découpe, l’occupe jusqu’aux dernières bifurcations, avant qu’il ne renaisse dans les ruelles obscures que la ville oublie. La ville mange le temps.

— Chacun son tour, dit Boaz le Cyd’Berg.

— Seul le corps du philosophe habite la ville, dit Platon, pendant que son esprit erre sous terre et dans le ciel. 

2

Les villes s’étendent et se rétractent au gré des conjonctures économiques et guerrières. La Rome médiévale n’était plus que des villages fortifiés au cœur de l’enceinte ruinée des anciens, où paissaient les troupeaux de moutons. 

3

Les villes se reproduisent, et entretiennent des rapports généalogiques de descendance. Les villes financent l’émergence d’autres villes. San Francisco et Chicago financent les investissements fonciers dans Los Angeles naissante au 19e siècle. Les villes dissipent leurs élites comme des graines de bonne et de mauvais augure. Elles échangent leurs ambitieux, leurs épuisées, leurs espoirs déçus. Et parfois elles se retournent les unes contre les autres et s’envient.

4

Comme n’importe quel ordre vivant, la ville attend sa mort et son existence tient dans ce jeu d’ombres, dans la fumée du samsâra et dans l’écho de l’univers tiède : 

— Quand les voix ensommeillées s’arrêtent, écrit Julien Gracq, on entend le bourdonnement énorme des mouches grésiller comme la vibration même de la chaleur. Si je ferme les yeux un instant, c’est l’odeur familière, ce sont les bruits mêmes d’une petite ville du Royaume dans l’après-midi poudroyant de chaleur blanche et, si je les ouvre, les mêmes fantômes de chats moroses, qui bougent de temps à autre petitement, collés aux murs tachés d’urine de bêtes par l’étroite flaque d’ombre qui tombe des maisons. Mais la perspective des toits vient buter contre un étrange fantôme solaire. Le rempart ici s’enlève et s’accoude très haut au-dessus des maisons : couleur de suie sans épaisseur dans le contre-jour, avec les découpures toutes plates de ses sentinelles, c’est comme une fresque d’ombres chinoises, un de ces écrans de théâtre peints qui montent du sol par une machinerie et viennent fermer la scène quand l’exige le suspens de l’action. Tout à coup le déclic bizarre des fresques en trompe-l’œil vous fige sur place : le mur n’est qu’une ombre portée, et les sentinelles sont peintes sur la toile — et derrière cette rampe crénelée qui déjà n’est plus de ce monde un grand jour blanc, mystérieux, éclairé par-dessous ainsi que les nuages qui montent sur la mer, fume vers la hauteur comme la vapeur qui monte sur une cuve. 

À l’aube la ville d’Yvonne Caroutch résonne des rumeurs de coquillage vide.

Et la nuit elle te laisse entendre le bruit de tes pas qui se réverbèrent sur les façades. Les autres te l’ont laissée sans qu’ils ne s’en rendent compte. 

cf. Zwischenstadt

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